Imprimé depuis le site Archives du Formindep / publié le mercredi 22 mars 2006

Rédaction de la Charte du Formindep : quelques commentaires pour mieux comprendre

La Charte est divisée en trois paragraphes volontairement concis qui vont du général au particulier :

Premier paragraphe : la mission générale dans laquelle s’inscrivent les professionnels, et l’indépendance comme outil de cette mission. Un membre du groupe de travail a souligné que cette mission n’était définie concrètement nulle part, bien qu’on l’évoque souvent, et qu’on se limitait encore de nos jours au contrat interpersonnel médecin-patient. Ce serait donc une des premières fois que cette mission est explicitée...

Deuxième paragraphe : les tâches qui en découlent pour les professionnels de santé

Troisième paragraphe : l’engagement spécifique du Formindep et de ceux qui le soutiennent.


Commentaires détaillés par paragraphe


Premier paragraphe

Il a été écrit « l’intérêt de la santé des personnes », plutôt que « l’intérêt des personnes », ou « l’intérêt des patients ». On n’a pas retenu le terme de « patients » qui pourtant inscrit la personne dans une relation de soins. Le patient est en quelque sorte la personne qui fréquente le système de soins, mais il a été objecté que, dans le cadre d’une démarche de prévention ou dans celui de l’information du public, le sujet n’était pas obligatoirement un patient, mais une personne, en quelque sorte vue comme patient potentiel. Si le terme de « personnes » était donc retenu, il fallait alors parler des personnes dans le contexte de la santé. C’est pour cela qu’il a été décidé de parler de l’intérêt de la santé des personnes. De plus, la discussion qui a eu lieu au Formindep en janvier 2006 sur la « capacité à la santé » selon Ivan Illich, donne une pertinence supplémentaire à cette assertion.

Il a été décidé de parler des « personnes, comprises dans leur dimension individuelle et collective », plutôt que de parler des individus. Cela renvoie à la différenciation entre personnes et individus, longuement débattue grâce aux travaux entre autres d’Emmanuel Mounier, Gabriel Marcel, Vladimir Jankélévitch et de Paul Ricoeur récemment disparu. Pour faire vite, on peut dire que dans la société, l’individu est objet alors que la personne est sujet. Par rapport à l’individu qui, comme l’indique son étymologie (la même que pour le mot atome, indivisible) est en quelque sorte l’unité de base d’un ensemble, la personne est l’individu capable de pensée « pour soi et pour les autres » a dit Ricoeur, dans un engagement sociétal pour « des institutions justes », complète-t-il. On est donc là au cœur de la réflexion éthique où la personne humaine est première et centrale dans la réflexion et la pratique des professionnels de santé. D’où la formulation : il s’agit bien de personnes, à la fois comme individus, et dans leur dimension collective, faisant partie de la société où elles vivent et s’engagent.

La deuxième phrase pose moins de problèmes. La difficulté a été, pour parler des intérêts autres que ceux de la santé des personnes, de différencier leur présence de leur influence dans le domaine de la santé. Ce point sera abordé dans le deuxième paragraphe.


Deuxième paragraphe

Est présenté d’emblée le triptyque des acteurs de santé : la société composée des personnes-citoyens, les autorités « concernées » (politiques, législatives, administratives, sanitaires), les professionnels. Dans cette phrase, la place de chacun essaye d’être définie rapidement.

La société, qui a donné la mission énoncée dans le premier paragraphe, contrôle et s’assure que les professionnels remplissent cette mission. C’est d’une certaine façon le rôle fondamental des patients au Formindep. La tentation des professionnels de santé, devant les difficultés éthiques que pose cette mission, est d’alléger le fardeau, de trouver des arrangements, voire des compromissions, pour justifier des dérives. Le regard de la société est donc indispensable pour permettre aux professionnels de rester sur les rails. C’est exactement cette fonction que ne remplit pas l’Ordre des médecins, pratiquant de fait une véritable tromperie vis-à-vis de la société, en lui faisant croire qu’il agit pour contrôler en son nom l’activité des professionnels selon l’éthique (rôle de la déontologie) mais qui, en fait, cautionne voire favorise les dérives du fait de l’absence de fonctionnement démocratique et de présence citoyenne en son sein.

Les « autorités concernées » sont là, mandatées par la société, pour permettre aux professionnels l’exercice de cette responsabilité, en leur en donnant les moyens. On voit avec la Haute Autorité de santé, l’Ordre des médecins, la politique gouvernementale et les élus nationaux et supranationaux, combien il y a loin de la théorie à la réalité. Théoriquement les autorités sont là pour garantir et favoriser cette mission des professionnels. On sait comment ça se passe. Il est important que cette fonction des autorités soit rappelée pour légitimer les actions et les interpellations du Formindep vis-à-vis d’elles.

L’acceptation du contrôle de leurs actions par la société, c’est bien grâce à cette transparence que les professionnels de santé doivent garantir. La déclaration de conflits d’intérêts n’est que l’outil de cette transparence, pour les personnes.

La deuxième partie de la phrase décrit la tâche des professionnels de santé pour remplir la mission du premier paragraphe. Il s’agit d’une responsabilité. C’est-à-dire qu’ils sont appelés à en répondre : on retrouve là la nécessité de la présence citoyenne et de l’aide des patients au Formindep.

Cette « tâche » de responsabilité se décline en deux niveaux, transparence et indépendance, qui apparaissent dans cette phrase :
La transparence c’est « reconnaître et dévoiler ». Dévoiler, c’est lever le voile qui entretient l’opacité. La responsabilité des professionnels c’est donc de savoir identifier la présence d’autres intérêts, de savoir les reconnaître. C’est cet apprentissage, que nous avons fait entre autres au Formindep parce qu’il n’est pas fait à l’Université, pour identifier la présence des autres intérêts et les conflits d’intérêts qui en découlent. C’est notre action principale au Formindep, à travers les interpellations des CNFMC, de la HAS, le dépistage du cancer de la prostate, etc. : nous révélons la présence de ces intérêts parce que nous savons les identifier. On peut dire qu’il s’agit là d’une réelle compétence professionnelle.

Une fois identifiés et dévoilés, il importe de refuser l’influence de ces intérêts. La transparence n’est pas une fin en soi, c’est bien l’indépendance que nous visons. Nous en avons longuement débattu au sein du collectif.

Ce corps de phrase se divise en deux : d’un côté, reconnaître et dévoiler la présence de ces intérêts, de l’autre refuser leur influence. La nuance est importante. Il apparaît en effet que la présence de ces intérêts, non seulement ne peut être éliminée du champ de la santé, mais est souvent nécessaire, voire indispensable. Que feraient les médecins sans médicaments ? Cette nuance est d’autant plus importante dans le secteur de la recherche médicale. La présence de l’industrie pharmaceutique y est évidemment souvent pertinente. Ce qui importe donc, c’est bien ce que décrit la phrase : reconnaître et dévoiler la présence de ces intérêts en toute transparence, qu’ils soient présents de façon légitime ou non, dans les secteurs d’activité des professionnels. Mais refuser que ces intérêts influencent d’une façon ou d’une autre la réalisation de la mission soignante quel que soit le secteur d’activité. C’est là que se situe l’indépendance. On en mesure l’importance et la difficulté. Car cette influence est protéiforme et les professionnels doivent apprendre à reconnaître quand ils sont sous ces influences. C’est tout le travail de réflexion éthique. Les secteurs d’activité décrits se veulent exhaustifs. On n’a pas mis de destinataires à la formation et à l’information, car si la formation concerne en premier les professionnels et l’information en premier lieu le public, ce n’est pas tout le temps le cas.


Troisième paragraphe

Ce paragraphe a posé le plus de difficultés, car une formulation précédente proposait le texte rédigé ainsi : "je m’engage pour que l’influence de ces intérêts dans le domaine de la santé soit réduite et, à terme, éliminée".

Le problème venait de la difficulté de rendre compte d’une attitude dynamique, qui indique à la fois un chemin : réduire l’influence, et un but : supprimer cette influence.

Il semblait pourtant important d’affirmer cette dimension « eschatologique » du Formindep : même si nous savons que nous n’y arriverons pas, notre « lutte finale », notre ambition c’est la fin de toute influence autre que celle de la santé des personnes. Nous savons bien que ce but peut être approché de façon asymptotique mais jamais atteint : quand bien même un jour nous arriverions à ce que l’influence des firmes, des assurances, soit éliminée de la décision de soins (on peut rêver), il nous resterait notre influence personnelle, notre souci de reconnaissance, de plaire, de profit personnel : le principal conflit d’intérêt du soignant, c’est lui-même. C’est la poursuite de cet objectif absolu qui nous fait traiter d’ayatollahs ou d’intégristes par ceux qui ne comprennent rien à nos objectifs et n’ont plus que l’insulte comme argument. C’est le fait que nous savons que cet objectif est inatteignable mais que nous devons pourtant travailler à nous en rapprocher qui fait que nous sommes justement tout sauf des intégristes ou des « purs et durs », et que nous avons une infinie conscience de nos limites devant cette tâche infinie également.
Donc la difficulté était d’exprimer à la fois le chemin concret quotidien, et le but vers lequel ce chemin nous mène, but inatteignable certes mais indispensable à exprimer pour ne pas dévier de ce chemin.

C’est cette gageure qui nous a amené à la formulation actuelle, celle de l’expression d’un vœu en tant que signataire de la Charte. En effet, la notion d’engagement pouvait être ressentie comme trop « forte » dans un document qui se veut être le premier niveau d’implication pour l’indépendance. Il paraissait préférable de ne pas effrayer en employant le terme « engagement » dans tout ce qu’il peut avoir d’impliquant dans une société frileuse, où les idéologies semblent mortes sauf celle de l’individualisme, individualisme permettant par définition de tout remettre en question en fonction de ses humeurs du jour et des modes qui les conditionnent, compromettant de fait tout engagement durable.

Cet appel à ce que cessent ces influences nous paraissait ainsi rendre compte du chemin et du but, comme l’expression d’un vœu, dans lequel pourrait se reconnaître « le plus grand nombre ». La dernière phrase, à travers le soutien aux citoyens poursuivant cet objectif, parmi lesquels ceux se rassemblant au sein du Formindep, rappelle le champ d’intervention spécifique du Formindep, qui est celui de la formation et de l’information en matière de santé, mais dans l’environnement sociétal, éthique et professionnel défini dans les premiers paragraphes de la Charte.


Il semble donc que cette Charte permet une expression satisfaisante et transmissible à la fois de la « philosophie » du Formindep et des actions et des engagements qui en découlent. Merci aux membres du Formindep qui ont participé à son élaboration par leurs contributions aussi fortes que pertinentes, révélatrices de la profondeur de la réflexion éthique dans laquelle s’enracine leur engagement sur le terrain.