Imprimé depuis le site Archives du Formindep / publié le dimanche 27 décembre 2009

Défumer parmi ses proches

J’ai souvenir d’une matrone à la Dubout traînant à ma consultation un petit mari fluet. Il fallait que je l’arrête de boire. J’eus du mal à le voir seul. Avec les alcooliques, j’ai toujours pris en compte le rôle de leurs proches. Ceux des fumeurs n’avaient jusqu’ici pas attiré mon attention. Le brillant mémoire de DIU de tabacologie qu’une jeune psychologue vient de consacrer à leur sujet est une révélation. [1]

Sa subtile analyse part de l’histoire d’un couple. Annie a 58 ans. Son premier mari fumeur est mort d’un cancer du poumon découvert à 38 ans. Elle aussi fumait énormément. Elle a fini par arrêter, mais pense encore à la cigarette. A 41 ans, elle rencontre Didier, divorcé. Il en a 26. Il fume. Son père, fumeur, est mort d’un infarctus. Sinistre répétition, 15 ans plus tard, à 41 ans, Didier est lui aussi opéré d’un cancer bronchique, puis d’une métastase cérébrale. Il a maintenant 43 ans.

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Défumer parmi ses proches

Annie amène Didier à la consultation pour qu’il arrête de fumer. Elle le harcèle. Manière de lutter contre son angoisse, et aussi de combattre ses propres pulsions. Infantile, étonnamment serein, il se replie dans ses jeux vidéo, fume des cigarettes qu’il cache, ment effrontément en dépit du dosage de CO qui l’a trahi. La cigarette devient le centre de la vie du couple, et son ciment. L’arrêt serait le signe d’une séparation envisagée. Annie ne laisse aucune chance à Didier.

L’analyse est centrée sur le couple. Mais tous les liens affectifs du fumeur sont en jeu, l’enfant qui a appris à l’école que le tabac peut tuer son père qu’il culpabilise, le frère non-fumeur cité comme d’habitude en exemple, le père décédé qui joue la statue du Commandeur, la sœur enceinte victime potentielle…

Les temps ont changé. Fumer n’est plus normal. Basée sur le risque mortel de la moindre trace de fumée, l’intolérance croissante de la société, qui va même jusqu’à la chasser des images, exacerbe l’angoisse des proches. Leur pression sur le fumeur s’accroît, amplifiant la stigmatisation sociale. Sa réponse est une auto-défense de son identité, qui le fortifie au contraire dans son tabagisme. On continue à préconiser au candidat à l’arrêt du tabac la recherche d’un soutien de la part des proches. Il devient sans doute plus souvent un contrôle, qu’il faudrait plutôt tenter de desserrer. Le sentiment d’être finalement le seul artisan de sa victoire sur le tabac est la meilleure garantie de succès durable.

Il serait donc temps de se préoccuper des proches des défumeurs, pour transformer leur angoisse en soutien efficace. Je regrette que ce mémoire ne soit gardé qu’à la bibliothèque de Paris-Sud, donc quasiment inaccessible, et que la mise en ligne des thèses et mémoires de l’Université ne soit encore qu’un projet. En espérant que l’auteur en tirera un article, j’essaierai de lui trouver une place l’an prochain dans l’enseignement du DIU.


[1VERLINDEN M. "D’ai(fu)mer" lorsque le tabagisme se conjugue. Mémoire DIU de tabacologie. Faculté de Médecine Paris-Sud. Novembre 2009