Imprimé depuis le site Archives du Formindep / publié le dimanche 4 septembre 2005

Qui gère la formation continue et l’évaluation des pratiques des médecins en France ?

Si, comme le dit l’adage, "l’argent est le nerf de la guerre" alors il faut se rendre à l’évidence : ce sont les firmes pharmaceutiques qui assurent la formation et l’évaluation du corps médical français.

Déjà plus de 90 pour cent des organismes et des sessions de formation continue en France sont financés directement ou indirectement, en totalité ou en partie, par les firmes pharmaceutiques. De plus en plus de sociétés savantes médicales ou d’organismes de formation développent avec elles des " partenariats éthiques " et des " collaborations responsables " pour financer leurs actions, mettant fin pour certains à l’indépendance qu’ils revendiquaient car ils connaissent parfaitement le lien entre indépendance de l’information et qualité des soins.

Les Conseils Nationaux de la Formation Médicale Continue (CNFMC) chargés, comme leur nom l’indique, de la mise en place de la formation continue des médecins, n’ont toujours pas rendu transparents les conflits d’intérêts de leurs membres avec les firmes, malgré leurs déclarations il y a plus d’un an suite à l’appel d’un collectif de patients et de professionnels [1]. Concernant l’indépendance des formations, les critères d’agrément proposés par certains de ces conseils sont autant minimalistes qu’hypocrites [2] . Ils continuent à favoriser la présence d’autres intérêts que ceux des patients dans la formation des médecins. Présence que l’Ordre des médecins, garant de leur indépendance [3] , trouve " réaliste " et " essentielle " [4].

Les gestionnaires de la Formation Professionnelle Conventionnelle (FPC), pourtant financée par l’argent de la collectivité nationale, n’excluent pas formellement la possibilité d’intrusion d’intérêts privés pour cofinancer, par exemple, l’environnement des formations proposées [5]. Ainsi les contenus des formations seraient "indépendants" mais, durant celles-ci, les médecins pourraient être logés, nourris, voire divertis par les firmes. Prétendront-ils, là aussi, éviter toute forme de "reconnaissance du ventre" vis-à-vis de ces bienfaiteurs ?

Continuons cette énumération de la dépendance. Les autorités de régulation sanitaire revendiquent elles aussi des collaborations " respectueuses " et des partenariats " bien compris ". Conséquence de son absence de moyens et de réflexion éthique, c’est à la "visite médicale", outil publicitaire et marketing des firmes, que la Haute Autorité de santé (HAS) va confier la délivrance des recommandations officielles aux médecins [6]. Encore une sous-traitance scandaleuse d’objectifs de santé publique confiée à des intérêts industriels.

Enfin, l’Evaluation des pratiques professionnelles (Epp) des médecins se met en place. Elle a pour objectif de permettre aux médecins d’obtenir tous les cinq ans une attestation garantissant à la population un minimum de mise à jour de leurs connaissances et de leurs pratiques. Comment ne pas s’en réjouir ? La Haute Autorité de santé permet l’organisation de ces Epp par les organismes de formation médicale continue dont on a vu la dépendance quasi-générale aux firmes pharmaceutiques. Et le financement ? Cette question pourtant fondamentale au plan éthique ne semble pas préoccuper outre mesure la HAS : ce n’est pas son problème, explique son président dans une interview [7].

Qu’il se réjouisse ! La solution est trouvée ! La mise en place de l’Epp, pour les médecins libéraux, est confiée aux Unions Régionales de Médecins Libéraux (URML). Là encore, les conflits d’intérêts de ces structures, pourtant élues par les médecins et financées par leurs cotisations, mériteraient d’être précisés. Par exemple, ces Unions ne viennent-elles pas de décider de faire financer à 80 pour cent leur site internet national par... la firme PFIZER [8] ? Alors comment s’étonner de la récente affirmation du président de la conférence des présidents d’URML, qui se réjouit dans une interview que le financement de l’Epp soit trouvé et que "l’industrie pharmaceutique pourra (...) contribuer à la condition que soit assurée l’indépendance des médecins" (sic). [9]
Ce même président qui déjà, en avril 2004, fustigeant ces « caciques puritains » qui demandent l’indépendance de la formation des médecins, expliquait sans rire que « la visite médicale, vectrice d’une information validée fondée sur des référentiels scientifiques, est un facteur de lutte contre l’isolement du médecin ». [10]. Autant permettre à une chaîne de télévision de financer les vacances des membres du CSA, à condition que soit préservée leur indépendance bien sûr...

En refusant de prendre les distances que commandent l’éthique et la santé publique avec des intérêts autres que ceux des patients, les responsables de santé publique et les professionnels de santé prennent le risque de voir se reproduire régulièrement ce que le magazine Nature présentait récemment comme " la plus grande catastrophe de l’histoire de l’industrie pharmaceutique [qui] a peut-être causé plus de 20 000 décès " [11] : le scandale du rofecoxib (Vioxx®). On voit venir le temps où la responsabilité juridique de ces derniers sera recherchée dans ce type d’affaire, et plus seulement celle des firmes.

Dans d’autres pays, la prise de conscience du caractère inacceptable et dangereux de cette situation de dépendance des professionnels amène les responsables sanitaires à prendre des mesures favorisant l’indépendance de leur formation. En France, c’est différent.

Il est temps que les citoyens, tous amenés à être un jour des patients et à remettre leur santé entre les mains des médecins, réclament haut et fort la transparence et l’indépendance de la formation et de l’évaluation des pratiques de ces derniers.


[2] cf. le communiqué du Formindep de novembre 2004 Et un, et deux, etc. !

 ; ces critères d’agrément de la FMC peuvent être téléchargés sur ce site (à notre connaissance les conseils nationaux n’ont pas jugés bon de les rendre publics...)

[3Article 5 du Code de déontologie médicale : Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. "Cette indépendance est acquise quand chacun de ses actes professionnels est déterminé seulement par le jugement de sa conscience et les références à ses connaissances scientifiques, avec, comme seul objectif, l’intérêt du malade".

[4Bulletin de l’Ordre des médecins n°5, mai 2004, " Soyons réalistes, il semble difficile d’imaginer une FMC sans le support essentiel que représente l’industrie pharmaceutique " explique le Dr Michel LEGMANN, vice-président du CNOM chargé de la FMC

[5cf. http://www.ogc.fr/index_organismes.php : le cahier des charges 2006 de la FPC et l’annexe 4 laissent la possibilité de cofinancements par des " organismes privés investis d’une mission de service public ". L’exclusion des " entreprises à caractère commercial " n’empêche pas formellement la participation des firmes pharmaceutiques. Ce terme flou laisse la porte ouverte à des interprétations : par exemple une "fondation" créée par une firme pharmaceutique pourrait se retrouver investie d’une mission de service public sans caractère commercial...

[6cf l’éditorial et le dossier complet du Formindep sur la question ainsi que le communiqué de presse de la revue Prescrire

[7cf Revue TLM, n°60 juillet-septembre 2005, pages 7-11, interview de Laurent DEGOS "la Haute Autorité de santé ouvre la porte de l’Epp aux associations de Fmc"

[8Relevé de synthèse de l’Assemblée Générale de la Conférence Nationale des Présidents d’Union - Samedi 2 Juillet 2005 - Hôtel Hilton Orly - Point 6 : Espace INTER-URML

[9Sandra BOUTIN - L’EPP des libéraux est financée - Jeudi 1 septembre 2005 http://www.egora.fr

[10Pierre MONOD, Les défis de la qualité, Jeudi 10 juin 2004 http://www.egora.fr

[11“Les leçons amères du scandale Vioxx®”- revue de presse de Laurent FRICHET du 2 septembre 2005- site http://sante.net