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L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Après la fermeture des sites de Metz et de Strasbourg, voici celle de l’usine de Nantes, délocalisée en Pologne. Avec celle de l’Institut du tabac de Bergerac et la suppression de postes au centre de recherches de Fleury-les-Aubrais, ce ne sont que les derniers épisodes de la disparition inéluctable de toute activité de production et de recherche sur le tabac en France.

De quels applaudissements les associations anti-tabac n’ont-elles pas salué en 1995 la privatisation de la SEITA [1], qu’elles réclamaient depuis des années ! L’argument était imparable. Il est évidemment scandaleux que l’ État, protecteur de la santé publique, soit aussi un marchand de mort. Et pourtant…

Les affaires de la SEITA n’étaient pas bonnes depuis que la disparition des règles douanières en 1976 lui avait fait perdre le monopole de fabrication et de distribution des tabacs. C’eût été un bien pour la santé, si ces difficultés n’avaient pas reflété l’envahissement du marché français par les cigarettes américaines. Très administrative, bureaucratique, commercialement inefficace, la SEITA n’a pas su s’adapter rapidement à cette nouvelle demande. Il lui fallut attendre le succès des Gauloises Blondes en 1984. Fermeture après fermeture, les usines disparaissent. La fusion en 1999 avec l’espagnol Tabacalera pour former Altadis n’a pas stoppé le déclin. Le pire est arrivé, avec la prise de contrôle par le géant britannique Imperial Tobacco en 2008.

Depuis Richelieu, les grands argentiers de l’État avaient compris ce qu’ils pouvaient retirer de la passion des fumeurs. Raymond Poincaré créa le SEIT [2] en 1926 pour "amortir la dette publique". Déjà ! L’État contrôle encore de fait la distribution en France par le réseau des buralistes. Il ne perd rien à la privatisation. Les rentrées fiscales de près de 14 milliards d’euros continuent, mais cette manne tempère énormément son enthousiasme à lutter contre le tabagisme, qui continue à croître chez les jeunes.

Pourtant, paradoxalement, la SEITA avec son inertie était déjà une arme efficace dans ce combat. L’État gardait un contrôle direct sur la qualité des produits et leur commerce. Nid à polytechniciens, les ingénieurs de la SEITA étaient les seuls en France à avoir une connaissance scientifique approfondie du tabac et de ses risques. C’est pourquoi dès le début du DU d’Etude de la dépendance tabagique, je les ai invités à parler de la technologie du tabac et de la cigarette. À commencer par Pierre Schiltz, son directeur de recherches, ils m’ont appris tout ce que je sais sur le tabac. Après son décès, c’est finalement Yves Saint-Jalm qui a pris le relais, déjà sous la coupe d’Altadis.

C’est des chercheurs de la SEITA que j’ai appris comment se faisait une cigarette, le problème des rendements en machine à fumer, ceux posés par les additifs. C’est eux qui ont lancé la première étude française sur le cancer du poumon [3]. Elle était menée par Daniel Schwartz. Issu de la SEITA, qui devint professeur de statistiques à Paris XI. Il est le créateur du CESAM [4] qui m’a initié à sa discipline, quand les calculatrices se tournaient à la manivelle !

Ce sont eux qui m’ont prêté (pour un mois !) la machine à fumer monocanal qui m’a permis de corréler le rendement en nicotine et goudrons avec l’émission infrarouge du foyer de combustion d’une cigarette. Cela pourrait permettre de mesurer à distance la consommation réelle d’un fumeur à son insu [5]. À ce propos, une anecdote illustre bien la bureaucratie de la SEITA : la machine est arrivée à la Faculté en port dû ! Non prévenu, le gardien l’a refusée, elle est retournée aux Aubrais ! J’ai heureusement fini par la recevoir. Ils m’ont dosé la nicotine et les goudrons dans les filtres Cambridge et dans des filtres de cigarettes. Ils m’ont préparé des extraits de tabac et de fumée, les ont étalonnés en nicotine. Leurs effets sur des structures cérébrales du rat se sont montrés différents de ceux de la nicotine seule, dans des essais que nous menons encore avec Renaud de Beaurepaire à Paul Guiraud [6].

Un accord entre le ministère de la santé et les industriels mondiaux du tabac devait financer la recherche publique sur le tabac [7]. Par une entourloupe, la SEITA le détourna à son seul profit en fondant une association-maison, l’Association de Recherche sur les Nicotianianées (ARN). Bien que déçu et choqué par ce procédé, j’ai assisté aux réunions annuelles qu’elle organisait, y glanant des informations utiles. J’y ai rencontré des botanistes biologistes, précurseurs en génie génétique, travaillant dans le remarquable site de Bergerac. Et puis, aurait chanté Brassens, "La bande au Professeur Nimbus est arrivée". Avec Altadis, on pouvait encore négocier une aide technique. Sous Imperial Tobacco, les réunions ARN ont continué, mais en anglais ! À Paris, par des Français baragouinant un anglais que comprenaient mal d’autres Français, peut-on faire plus ridicule ! Je n’y assiste plus. Pourtant, quand pendant la guerre j’écoutais "Les Français parlent aux Français" en cachette à la BBC, on les comprenait, ils parlaient français !

Nos extraits de tabac et de fumée s’épuisent. Même congelés, ils s’altérent sûrement. J’ai fait une démarche auprès du Directeur du Centre de Fleury-les-Aubrais. Il est encore Français. Très compréhensif, prêt à nous aider, à nous en re-préparer, avec la même technique. Mais il lui fallait l’accord de Londres ! Cela va faire 6 mois…

On pourrait rêver d’une unité INSERM de neurobiologie, dotée de chimistes dosant la nicotine, les IMAO de la fumée, explorant les molécules rares derrière des spectrographes de masse, équipée au moins de machines à fumer, qui ont permis à un quasi franc-tireur comme Kozlowski de déjouer le mensonge des cigarettes dites "légères" [8]. Comme toute industrie, l’industrie du tabac n’a pour but que le profit, au mépris de la santé de ses clients. Il faudrait que la recherche publique ne lui laisse pas monopoliser le savoir. À défaut, la SEITA était encore accessible. L’avoir livrée aux ogres internationaux était-elle, a posteriori, une bonne politique ?

La SEITA ? Un État dans l’État, disait-on. Comme tout service public, elle avait ses imperfections et ses dérives. Son activité commerciale la contraignait à lutter contre la puissance de Philip Morris et l’engouement des jeunes fumeurs pour ses Marlboro. Mais au lieu de la facilité d’une vente qui apportait au Trésor Public une petite transfusion, n’aurait on pu tenter de garder le contrôle essentiel qu’elle permettait d’exercer en faveur de la santé publique. C’est elle qui devrait maintenant commercialiser des cigarettes électroniques. Mais la compétence scientifique est délocalisée, les Gauloises sont faites au Royaume Uni, les jeunes français continuent à fumer autant sinon plus, au profit de multinationales étrangères… On juge un arbre à ses fruits, une politique à ses conséquences.

Robert Molimard

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