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De ma vie je n’ai mis les pieds dans un casino. Ce ne sont pas les occasions qui manquent, avec ceux qui desservent l’ennui de curistes proches de chez moi. Mais je n’aime pas les jeux de hasard, et encore moins les entreprises qui jouent avec le hasard et les statistiques pour vendre de faux bonheurs sous forme de jeton et faire du profit.
Bien obligé d’accompagner certaines patientes, il a fallu que j’entre dans le grand casino du dépistage organisé du cancer du sein, avec sa roulette à 6 chiffres, ses couleurs roses, ses lecteurs pairs ou impairs, et bien sûr, tous ses jetons de présence offerts pour donner l’illusion de sauver une vie...

Rien ne va plus...

Bon d’accord, j’y vais un peu fort sur la comparaison. Entrer régulièrement et sans jamais y être forcé dans un casino aux accroches scintillantes, y laisser la santé de son portefeuille et prendre du plaisir à rêver de la rare fois où la chance sera au rendez-vous, ça n’a tout de même rien à voir avec un dépistage organisé !
Force est de constater qu’on peut convaincre facilement 2000 femmes de se faire malmener dans un cabinet de radiologie, et les inviter à revenir tous les 2 ans sans provoquer d’addiction sur une période de 10 ans. Il suffit de quelques bons conseils de leur assurance, de leurs amies, d’une association féministe ou d’un spot télévisuel efficace. Il suffit de leur glisser un espoir d’une santé meilleure que celle qu’elles ont pourtant déjà avant d’entrer. A ce drôle de jeu, une seule d’entre elles à peine y gagnera peut-être en vie supplémentaire sans mourir du cancer du sein qu’on lui aura découvert, quand 10 autres au moins y laisseront un peu de leur corps et 200 sans doute beaucoup de leur âme [1]. On est bien loin des 48 % de chances de gain de la martingale où il faut miser 100 fois de suite pour être sûr de gagner au moins un tout petit peu [2].
Il n’y a donc rien de comparable.

Faites vos jeux ...

Pourtant, quand la patiente dont je raconte l’histoire ici est venue me consulter pour que je la conseille sur les suites à donner à ses résultats de mammographie, il a bien fallu que je réalise mon ignorance : il existe bel et bien une procédure, en apparence organisée qui, lorsqu’on mise sur elle, pourrait bien se jouer de la santé des femmes par les lois du hasard.

Cette procédure doit son existence à l’ambiguïté de la lecture d’une mammographie. D’ailleurs on préfère parler d’interprétation plutôt que de lecture. Une interprétation est dépendante à la fois du ou des radiologues (premier et deuxième lecteurs) et du support de lecture de leur mammographie (mammographie numérique ou analogique). Pour la rendre factuelle, on l’associe à une cotation de gravité basée sur la description visuelle des anomalies repérées. C’est précis et ça efface les incertitudes. L’ensemble de cette procédure est détaillé dans le cahier des charges qui régit son application auprès des radiologues impliqués dans le dépistage organisé du cancer du sein. [3]

Cette cotation, dite ACR, trouve son origine auprès de l’American College of Radiology qui a mis en place une base de données, la Breast Imaging Reporting and Data System (BI-RADS®) [4] devenue très vite l’outil de référence universelle de l’interprétation mammographique. [5]

Il existe 6 niveaux de cotation ACR d’interprétation d’une mammographie [6]. En langage commun, cela pourrait se traduire par :

- ACR 1 : "y’a vraiment rien du tout, donc revenez dans 2 ans", 
 ACR 2 : "y’a un chouïa de vraiment rien de grave, donc revenez dans 2 ans", 
 ACR 3 : "y’a un bidule normalement pas grave mais revenez quand même nous le montrer dans quelques mois", 
 ACR 4 :"y’a un truc peut-être grave, venez donc qu’on le trifouille", 
 ACR 5 : "y’a un machin sûrement grave, bougez plus, on s’en occupe",
 ACR 0 dit d’attente : c’est un joker qui permet de ne pas se prononcer sur ce que l’on voit, soit parce qu’on considère que le catalogue descriptif des autres cotations n’est pas suffisant, soit parce qu’on est tellement peu sûr de sa lecture qu’on préfère ne pas prendre de risques en complétant tout de suite le bilan radiographique par d’autres examens, un peu comme pour l’ACR 3 mais sans la patience d’attendre quelques mois.


Dans un récent congres international d’oncologie, Bernard DUPERRAY disait de cette classification qu’elle est rigide, tant elle « conduit à une interprétation réductrice et à un excès d’agressivité », de quoi craindre des erreurs ou des approximations plus ou moins conscientes dans la lecture d’une mammographie.

Zéro ou trois ...

L’ ACR 0, c’est un peu le zéro de la roulette. Ni rouge ni noir, ni pair ni impair, ce zéro, dit de la banque, réduit la chance de gagner à la martingale à moins de 50 %. L’ACR 0, lui, réduit la chance de ne pas être considéré malade dans le choix du catalogue BI-RADS de description des images. Il conduit à réaliser d’autres clichés radiologiques, plus centrés, plus grossis, plus compressifs, et élargit le champ des possibles dans la recherche d’images à la "limite de la visibilité" (expression utilisée fréquemment dans les compte-rendus que je reçois) ou dans l’interprétation des formes d’images. « Tout ce qui est rond est plutôt bénin, tout ce qui est irrégulier est plutôt malin », disait un peu trop simplement un médecin radiologue formé à ce dépistage dans un débat public organisée le 28 juin dernier au collège de France [7].

Prenons l’exemple d’un radiologue qui repère le kyste banal et calcifié d’une glande mammaire : s’il le voit plutôt rond, il peut classer son image en ACR 2 et envisager le prochain contrôle mammographique de sa patiente dans 2 ans selon la classification BI-RADS ; s’il décide que l’image est à la limite de la visibilité et qu’il refuse de trancher sur la forme, il peut la classer en ACR 0, et faire d’autres clichés. Grâce à un cliché compressif, c’est à dire en appuyant encore plus sur le sein pour mieux voir, je vous le donne en mille, ce qui est rond et écrasé peut devenir ovale et polycyclique, permettant de passer d’un doute de visibilité à un doute de malignité exprimé par une cotation ACR 3. [8] [9]

ACR 3, cela veut dire programmer une nouvelle mammographie rapidement pour effacer ce doute. Cela signifie aussi de n’envisager de réaliser un examen complémentaire agressif de type ponction ou biopsie que dans de très rares cas. Pourtant, bien avant tout nouveau geste ou examen, combien de fois ai-je reçu des fiches de suivi que me demandait de lui transmettre le centre de dépistage, pour cocher des items qui ne laissaient la place à rien d’autre que des cytoponctions, micro- ou macrobiopsies, chirurgie, et pour renseigner in fine l’incontournable résultat anatomopathologique d’un prélèvement ?
Comme si l’image classée ACR 3 était condamnée à prouver coûte que coûte sa bénignité par un geste qui aurait dû pourtant rester exceptionnel ! Comme si, pour survivre aux doutes qu’il émet, et au risque de fabriquer des surdiagnostics, un médecin n’avait d’autre choix que de chercher des preuves dans le corps de ses patients ...

Pair ou impair...

Dans le dépistage organisé, il y a une double lecture de la mammographie : un premier lecteur décrit une image qui, de ACR 0 à ACR 2 inclus, sera relue par un deuxième radiologue anonyme qui ne saura pas qui est la patiente ni qui est le premier lecteur ; la deuxième lecture ne sera jamais proposée si la cotation est supérieure ou égale à ACR 3.

Prenons l’exemple du deuxième lecteur qui doit relire une mammographie classée ACR 1 ou 2 en première lecture : pour des tas de raisons, comme la fameuse limite de visibilité, il peut utiliser la cotation ACR 0 pour renvoyer le premier lecteur à de nouveaux examens complémentaires.
Dans une espèce de lâcheté intellectuelle organisée, le deuxième lecteur a le droit de dire au premier : "Tu n’as rien vu sur ce cliché, moi si, mais je ne te dirai pas quoi. Je te dirai juste où et comment chercher. Et ne compte pas sur moi pour te dire qui je suis" (exemple d’une fiche d’interprétation de deuxième lecture).
Revoir sa copie pour y débusquer ce qu’un autre a vu, voilà une bonne application de l’adage "qui cherche trouve", non ? Quand on sait que plus on regarde une radiographie, plus son interprétation devient discutable [10], vous imaginez pour une mammographie ?
Imaginez le degré d’impartialité du lecteur pris en défaut dans sa première lecture quand on lui demandera une nouvelle interprétation ! Une chance sur deux qu’il choisisse une cotation plus haute, ou bien plus ?
Imaginez en plus que ce radiologue soit le promoteur convaincu d’un matériel qui délivre une dose diminuée de moitié et de surcroît dit sauver des vies ! Plus de raison de courir le risque de mal interpréter ou d’être pris en défaut par un confrère ! Il n’a qu’à multiplier des examens aussi "anodins" pour chercher ! [11].
Imaginez enfin que pour éviter d’être pris en défaut, le premier lecteur a tout loisir, dans la prudence de ce protocole, de décider qu’il ne sera pas relu en choisissant simplement soit une cotation ACR 3 soit une cotation ACR 0 qui pourra le conduire par de nouveaux examens à coter ACR 3, parce que seules les cotations 0, 1 et 2 peuvent être remises en cause par une deuxième lecture.

Avantage au casino

Dans mon expérience de médecin généraliste, j’ai de plus en plus souvent l’impression que les variations de cotation se font presque toujours dans le même sens, un peu comme lorsqu’on escalade une échelle dont les barreaux se cassent au fur et à mesure qu’on monte. Ainsi il me semble voir de plus en plus souvent des images ACR 1 ou 2 d’une première lecture devenir des ACR 0 en deuxième lecture puis ACR 3 au troisième examen. Il me semble voir de plus en plus souvent encore des premières lectures cotées ACR 0 devenir des ACR 3 qui évitent ainsi une deuxième lecture et justifieront plus tard une ponction biopsie. Il me semble voir plus rarement des ACR 2 devenir des ACR 0 en deuxième lecture puis ACR 1 à la troisième et plus rarement encore des ACR 0 rester des ACR 1 ou 2.

Tout cela me semble fait pour tendre au confort intellectuel de la suspicion plutôt qu’à l’effort de la décision. Plutôt que de dire "je ne vois rien" ou "je pense qu’il n’y a rien a voir", il est toujours plus facile de dire à une patiente à moitié nue devant soi qu’on parie sur la prudence, l’expérience ou la technique, et tant pis si on nuit un peu à sa santé.

À la roulette de l’ACR, j’ai la désagréable impression qu’on a déjà perdu quand sortent les chiffres 3 ou 0, en pair ou impair...

Dans tous ces glissements de cotation qui ont le pouvoir de décider de l’avenir d’une femme en passant d’un numéro à l’autre, la conscience que les résultats que je reçois sont peut-être biaisés par la facilité, la paresse, le manque d’assurance ou la peur de l’erreur d’un médecin sourcilleux me dérange. Je suis bien sûr moi-même soumis à ces biais de soins que j’apporte aux gens qui me consultent. Je comprends donc cette envie de bien faire au point de vouloir en faire une qualité. J’ai conscience qu’elle peut devenir l’instrument de destruction d’un état de santé ou d’une vie. J’ai conscience que l’hypertechnicité, installée au cœur de la grosse machinerie du dépistage et perçue comme gage de raison scientifique, peut devenir l’alibi d’un vouloir bien-faire lourd de conséquences pour beaucoup trop de femmes. J’ai conscience que 100 perdantes par jour, opérées en trop, diluées dans l’hexagone, çà se remarque à peine [12].

Je n’en finis pas de me poser cette question : comme la banque d’un casino qui ne perd jamais, le dépistage organisé du cancer du sein engrangerait-il des paris qui ne profitent pas régulièrement à la santé des femmes ? Impossible ! Prévenir n’est pas jouer, non ?

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